Résumé :
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L’œuvre de J.-L. Borges n’est pas réductible à la juxtaposition de ses thèmes : tigres, couteau, miroirs, labyrinthe, etc., mais possède au contraire une profonde unité. Articles, études et contributions diverses n’ont certes pas manqué depuis sa mort ; il restait cependant à écrire l’essai critique capable de rendre intelligible l’œuvre dans la totalité de ses aspects et de dévoiler leur convergence dans le problème central d’une expérience littéraire. C’est ce type d’investigation qu’a mené Raphaël Lellouche en passant les livres de l’écrivain argentin au crible d’une herméneutique paradoxale, en partie inscrite dans la tradition de Blanchot et nourrie aux sources de la Kabbale et du scepticisme. S’arrêtant plus longuement sur certaines nouvelles, il a réussi à dégager ainsi une « physionomie » de celui qui, en avouant l’impossibilité de la biographie, s’est lui-même souvent présenté comme un usurpateur et un prince de l’artifice. À partir d’une analyse de l’« expérience de l’infamie », c’est-à-dire de l’altération caractéristique du rapport de Borges à la fama (la réputation, la renommée, la gloire...), Raphaël Lellouche nous éclaire sur la curieuse « excuse de son indignité, sans cesse invoquée par Borges quant à son statut d’auteur. Bien au-delà d’une conventionnelle protestation de modestie, celle-ci présente l’« auteur » comme s’il n’était qu’une hypothèse fictive – une fiction – s’incluant dans l’infini littéraire, mémoire anonyme qui efface l’individualité, et finalement identique à l’oubli. De plus, cet essai donne lieu à une saisissante interrogation sur les pouvoirs et les dangers de la littérature qui, en touchant à la différence entre réel et fictif, se met à l’épreuve de la violence de l’être.
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